02.05.2024

Droit de préemption : les oppositions dénoncent la méthode de la majorité

Les décisions de modifier le champ d’application du droit de préemption de la Collectivité, ont suscité de vifs débats entre les élus de la majorité d’un côté et les élus des deux oppositions (Generation Hope et Tema Gibbs) de l’autre lors de la séance plénière du conseil territorial mardi. Si les élus des oppositions ne sont pas contre le principe d’élargir le champ d’application, ils ont dénoncé la méthode, la précipitation et les motivations de la majorité à vouloir le faire.

La première motivation de la majorité est de s’opposer à l’achat des trois parcelles de la succession Beauperthuy – voire de toutes les parcelles - par un investisseur en vue d’un projet immobilier. Louis Mussington l’a martelé : «la première stratégie aujourd’hui est de s’assurer que notre foncier ne partira pas dans la spéculation foncière et immobilière demain. C’est la première mesure phare que nous devons [prendre] de manière unanime. (…) Il est de notre devoir moral et politique de réagir vite pour pouvoir s’opposer et dire fermement que nous devons définir une stratégie pour pouvoir sauvegarder notre patrimoine foncier et l’intérêt des futures générations». Pour ce faire, il propose ainsi de rendre juridiquement capable la COM de le faire en préemptant les terrains concernés.

Pour Jules Charville, le leader de Generation Hope, cela n’est pas la solution. Il regrette que Louis Mussington ne soit pas revenu à la table des négociations avec l’administrateur en charge de la succession Beauperthuy, qu’il n’ait pas déposé une offre de rachat auprès de l’administrateur comme celui-ci lui avait proposé. «Parce qu’on a loupé cette date, on en est là aujourd’hui», conçoit Jules Charville.

En d’autres termes, l’élu fait comprendre que parce que le président n’a pas répondu en temps et en heure (avant le 31 janvier 2024), l’administrateur a poursuivi le processus de gestion de la succession en demandant au tribunal de fixer une vente aux enchères et que maintenant, la COM doit trouver en urgence une solution pour que ces parcelles soient vendues uniquement à la COM. Le président a précisé que le préfet était parti mardi rencontrer l’administrateur «sur les consignes de la ministre des Outre-mer» pour lui demander de suspendre la vente aux enchères et de «revenir aux négociations».

N’ayant pas les moyens financiers, la Collectivité doit solliciter l’établissement public foncier (EPF) de Guadeloupe pour acquérir les parcelles à son compte. «Mais l’EPF n’est pas la bonne solution» selon Jules Charville qui avait présidé la commission saisie de la vente de cette manière des terrains de La Belle Créole. «L’EPF n’a pas les moyens. Et qui nous donne la garantie que les terrains [seront bien rétrocédés à la Collectivité à la fin de la convention de portage] ? », a-t-il demandé. Le président Louis Mussington «a pris acte de la remarque» de son collège mais n’a pas souhaité lui répondre.

Alain Gros-Desormeaux, membre de la Team Gibbs, a aussi demandé au président comment il entendait rétrocéder les terrains aux jeunes saint-martinois puisque l’une des volontés de la majorité est d’acquérir «ces terrains pour les futures générations». «Vous allez plus vite que la musique ! », lui a-t-il rétorqué avant d’indiquer, «ensemble, nous aurons à définir une politique demain».

«Le fait que le territoire, que la Collectivité soit propriétaire, on l’espère de l’ensemble  de ce foncier, veut dire que chaque Saint-Martinois est propriétaire. Nous avons une obligation de conserver, préserver et sécuriser le foncier pour l’intérêt général», a poursuivi le premier vice-président Alain Richardson. Tout en précisant que la COM peut interdire les constructions sur ces terrains. «Nous avons une obligation morale de préserver un maximum de foncier à l’état naturel et à destination du développement agricole. Notre engagement vis-à-vis des générations futures est que ce patrimoine foncier appartienne à ce collectif qui, aujourd’hui, s’appelle Collectivité», a-t-il complété.

Par ailleurs, Daniel Gibbs et Marie-Dominique Ramphort ont fait part de leur inquiétude quant à une éventuelle «discrimination» concernant les personnes concernées par l’obligation de déclarer leur volonté de vendre. Pour rappel, les personnes qui veulent céder leur bien à des personnes non résidentes fiscales doivent déclarer leur intention et ainsi permettre à la COM d’exercer son droit de préempter. La conseillère territoriale craint que les Saint-Martinois qui ont choisi de vivre hors du territoire, puissent être «désavantagés». Et pour Daniel Gibbs, cette disposition réduit la liberté des Saint-Martinois «de vendre à qui ils veulent leur terrain».

Les élus de l’opposition auraient préféré avoir davantage de temps pour réfléchir et discuter de certains points. «Pour certains il y a précipitation. Mais il n’est jamais trop tôt ou trop tard pour faire ce qui est nécessaire et ce qui est indispensable. Avec ces outils, le territoire pourra mieux exercer ce droit de préemption», a déclaré Alain Richardson. La majorité se dit satisfaite de pouvoir être en mesure de «constituer une réserve foncière ».

Estelle Gasnet