30.12.2019

Ce qui explique la rumeur sur le nombre de morts après Irma

Si le bilan officiel est de 11 morts, la rumeur a fait état de milliers de victimes.

Une équipe de scientifiques dans le cadre du programme ANR TIREX s’est penchée sur la rumeur après le passage de l’ouragan Irma, précisément sur celle liée au nombre de morts. Annabelle Moatty, Delphine Grancher, Clément Virmoux et Julien Cavero ont notamment cherché à comprendre comment la rumeur est née, s’est propagée et surtout a persisté dans le temps malgré les démentis des autorités. Ils sont venus à deux reprises à Saint-Martin - en novembre 2017 et en novembre 2018 - et se sont entretenus avec une soixantaine de personnes. Ils ont publié leurs travaux dans un article sur Geocarrefour.

Raisons qui expliquent le bilan humain de 11 morts

A Saint-Martin, le bilan humain officiel est de onze morts. «Face à l’importance des dommages, le nombre de victimes peut paraître relativement faible mais peut s’expliquer par différents facteurs», admettent les scientifiques. Ces derniers évoquent notamment la politique de prévention et la préparation au passage de l’événement, qui ont fait que les gens ont su se protéger. «Dans les entretiens menés lors des deux missions de terrain, les personnes enquêtées affirment toutes avoir fait des réserves d’eau et de nourriture, pris des mesures de protection de leur logement et, pour certains, avoir évacué chez des proches pour être plus en sécurité », relatent-ils. «Il ressort de nos enquêtes que la cinétique de l’ouragan a permis à certains de changer de refuge pendant le passage de l’œil et que les durées de submersion ont la plupart du temps été suffisamment courtes pour pouvoir y survivre», ajoutent-ils.

De plus, ils estiment que «le niveau de développement du territoire explique également ce bilan. En effet, l’accès aux services de santé a été maintenu, des moyens humains ont été déployés pour renforcer les actions de mise en sécurité des personnes et des biens». Bien que sinistré, l’hôpital a toujours été opérationnel et les blessés en urgence absolue ont rapidement été évacués vers la Guadeloupe et la Martinique en avion ou par les bateaux des douanes. L’accès aux médicaments a aussi toujours été possible grâce aux dispensaires de la Croix Rouge. Ce qui, en revanche, n’a pas été le cas à Porto Rico où le nombre de morts indirects a été très élevé après Maria.

Les moyens matériels de crise déployés qui ont alimenté la rumeur

Bien que les autorités aient toujours annoncé un bilan de onze victimes, un grand nombre de la population – ici et ailleurs- ne les a pas crues. Rapidement la rumeur a fait état de plusieurs centaines, voire milliers, de morts. Nombreux ont été ceux «de source sûre» avoir su que les corps avaient été entassés dans des conteneurs sur le port, mais personne ne les a vus ; aucune photo n’a circulé sur les réseaux sociaux. De même personne n’a été en mesure de révéler l’identité d’un de ses proches ou connaissances ne figurant pas sur la liste des noms des victimes publiée par la Collectivité.

Les quatre scientifiques ont reconstitué la chronologie de l’apparition de la rumeur et apporté des éléments qui pourraient expliquer pourquoi certains ont cru en la rumeur. Ils rappellent dans un premier temps le contexte : «le 6 septembre 2017, vers 6h (13h, heure de Paris) l’œil de l’ouragan passe sur l’île, les photos et vidéos provenant de Saint-Martin montrent des dégâts très importants et la préfecture de Guadeloupe reçoit un message alarmant de la préfète déléguée avant une interruption de communication de plusieurs heures. Les premiers bilans communiqués à la presse par le ministre de l’Intérieur indiquent déjà la destruction totale de la préfecture, la destruction partielle de la caserne des pompiers et de la toiture de la gendarmerie à Saint-Martin, sans précision quant au bilan humain.»

A Paris, Emmanuel Macron confie que «le bilan sera dur et cruel». Les secours s’organisent. «M. Pascal Bolot, préfet et directeur de la protection et de la sécurité de l'État au Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, déclare que les services de l’État, au plus haut niveau, devant le peu d’informations disponibles venant des Antilles, avaient tous en tête le bilan des milliers de morts du tsunami de 2004 en Asie », rapportent les scientifiques. «Cet élément a été déterminant pour le dimensionnement des équipes de secours et des moyens qui leur ont été attribués», précisent-ils. En effet, les services de l’Etat ont rapidement décidé de l’envoi d’une «équipe de l’Institut de recherche criminelle de la Gendarmerie Nationale (IRCGN) et de l’acheminement de lots de sacs mortuaires». Si cette décision a été prise à Paris sans une connaissance précise et réelle de la situation sur le terrain afin d’anticiper et faire face à d’éventuels besoins, elle a été interprétée par la population comme un moyen de faire face à des besoins réels et affirmés. Il en a été de même avec la présence de conteneurs frigorifiques ; il s’agit de matériel classique déployé dans les situations de crise. Mais comme ces procédures ne sont pas connues du grand public, leur déploiement alimente l’imagination et donc la rumeur.

Dès leur arrivée à Saint-Martin, les vingt agents de l’institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale se sont rendus sur le terrain pour rechercher les corps. «Pendant 6 jours, des recherches de corps ont été effectuées en particulier dans les bateaux coulés. Ces opérations ont permis de ramener neuf corps qui ont ensuite été envoyés par bateau, dans des containers réfrigérés, à l’Institut médico-légal de Point-à-Pitre en Guadeloupe. A ce bilan s’ajoutent un décès à l’hôpital, une crise cardiaque sur le tarmac de l’aéroport et deux disparus (une femme et un nourrisson sur des voiliers)», expliquent les scientifiques qui soulignent aussi «les lacunes de communication ».

Par ailleurs, ils font référence à deux interviews dont celle du «directeur de l'hôpital, présenté comme ‘le mieux placé pour comptabiliser les victimes’, interrogé pour démentir la rumeur ». «Cette interview est contreproductive puisqu’il n’a pas eu à gérer les corps des personnes décédées hors de l’hôpital et ne peut donc donner aucune information sur le bilan », considèrent les scientifiques. La seconde interview est celle de l’IFS SXM (pompes funéraires) au sujet de neuf corps amenés juste après Irma. «Cette interview était censée contribuer à mettre un terme à la rumeur mais ses imprécisions et maladresses (décalage d’une semaine dans les dates, confusion entre taux d’occupation et capacité maximale de la salle adaptée pour plusieurs dizaines de corps) ont sûrement entretenu les doutes», commentent les scientifiques.

Le manque de communication

Autre fait qui a alimenté la rumeur et la volonté de croire à un nombre important de victimes, les listes de personnes manquantes diffusées sur les réseaux sociaux et alimentées par des proches sans nouvelles des leurs qui ne pouvaient communiquer.

Concernant la rumeur que beaucoup de SDF ou de personnes illégales étaient mortes sans avoir été recensées, les scientifiques ont pu avoir la confirmation que les personnes dans la rue ont pu être mises à l’abri avant Irma. «La veille de l’ouragan, les travailleurs sociaux ont orienté les hommes sans domicile vers les refuges officiels. Certains y sont restés plusieurs jours, compte tenu des conditions parfois plus favorables que celles de leur quotidien. Ils sont tous identifiés et aucun ne manquait après l’ouragan, certains ont bénéficié des rapatriements gratuits vers la Guadeloupe, la Martinique ou la métropole et reviennent progressivement sur l’île depuis l’été 2018 », rapportent-ils.

Enfin, les scientifiques ont pu observer un fonctionnement en vase clos de la société localement. «La méconnaissance des différentes communautés alimente la rumeur en laissant la place au fantasme et à l’imagination. Malgré la taille restreinte du territoire, les habitants des différents quartiers ne se fréquentent pas ou alors par le biais d’une communauté d’intérêt. Ce fonctionnement en vase clos, associé à la culture du secret qui caractérise l’île, ont ancré la rumeur à l’échelle locale », concèdent-ils. Les sinistrés interrogés lors de l’enquête de terrain, n’ont en effet pas cité de personnes qu’ils pouvaient connaître, décédées non recensées car les morts étaient «dans l’autre quartier» qu'ils ne connaissaient pas.

Pourtant, « personne ne peut imaginer que des dizaines de personnes, voire des familles, restent introuvables sans que leurs proches ne s’en alarment ».

Estelle Gasnet
15 commentaires

Commentaires

Et pourtant sur grand case deux morts, une crise cardiaque et une personne ayant succombé à ses blessures ils n apparaissent pas sur le décompte

Et pourtant sur grand case deux morts, une crise cardiaque et une personne ayant succombé à ses blessures ils n apparaissent pas sur le décompte

Bonjour
Désolé de rester anonyme mais je participais à l'organisation des secours pré et post IRMA.
Votre article contient de fausses informations;
Un journaliste doit vérifier ses sources et les croiser avec d'autres pour écrire ce qui est vrai et pas des histoires.
Quel bateau des douanes?
La croix rouge pour les médicaments alors que c'est la pharmacienne de l'hôpital renforcé du pharmacien du SDIS et des équipes de l'EPRUS qui s'en sont chargés?
Etonnant cet article de scientifiques qui n'ont pas interrogé les acteurs de l'époque…
Mais au final, oui, nous n'avons dénombré et heureusement que 11 décès directement ou indirectement liés à IRMA.
Le premier décès à l'hopital était prévu avant.
Le premier décès en ville est du à une négligence Après le passage du Cyclone.
L'infarctus ne peut pas etre imputé à la météo.
IRAM a réellement tué 8 personnes par traumatisme et noyade.
Et ici, votre article révèle une vérité; nous étions sur un mode de préparation d'un pays civilisé et notre nation nous a aidé en préparatif et dans les suites immédiates. Rares sont les pays capable d'une telle opération.
Je note aujourd'hui que beaucoup semblent l'oublier et oublier également que le PPRN est l'outil de préparation le plus efficace de notre prochain cyclone..

"Le premier décès à l’hôpital était prévu avant". Vous voulez dire que la personne était déjà en fin de vie AVANT Irma, sur le point de mourir? Merci pour votre mise-au-point.

Oui c’était le cas, fin de vie

Une des qualités d un bon journaliste est de savoir recouper ses informations ...or ce n est pas souvent le cas ici .... dommage

Ca fait des mois et des mois que j essaye de faire comprendre à certains de mes interlocuteurs qu il est absolument impossible qu il y est autant de victimes d’Irma qui seraient passées inaperçues, aucune vidéo de soit disant cadavres alors que pourtant beaucoup cherchent ce style d’images ... et il est évident qu’il y aurait de partout sur la toile des messages de désespoir avec des noms et des visages.

Ceux qui transmettent ce genre de fake-news se moquent en fait de ceux qui les croient. Ils cherchent aussi à inquiéter leur voisinage. Je suis bien d'accord avec vous mais les "soit disant cadavres" piquent un peu les yeux..;)) On dira plutôt de "prétendus cadavres"...

Ce genre de légende (les corps dans les containers) s'était déjà répandue pour Luis mais là, certains y croient encore dur comme fer...

Aujourd'hui 30/12/2019 on nous parle de morts ou pseudos morts. Et les vivants qui ont tout vécus et qui encore aujourd'hui galèrent au quotidien par manque uniquement de respect. voilà plus de deux semaines que nous sommes pris en otage à la baie nettlé et encore ce matin un gamin de 10 ans pas plus crachait sur le blanc passant à Sandy Ground . je me rendais avec un ami arrivé hier soir pour le nouvel an à la gendarmerie.
Ce matin, sur un parking de résidence, sa voiture de location vandalisée dans la nuit.
A la gendarmerie ils nous ont très bien expliqués qu'il attendaient les ordres. Si la colère est légitime et je l'approuve, la méthode un peu moins. Les responsables sont les politiques et les institutionnels . Pourquoi ne vous en prenez vous pas à ces gens là.
En tant qu'éducateur sportif depuis presque trente ans sur cette ile, je n'ai jamais ressenti autant de haine entre individus. Bien sur cela va influencé mon avenir sur cette ile que j'aime mais voilà, au crépuscule de ma carrière je ne sais plus bien si je vais me battre à reconstruire dans de telles conditions. Aucun respect des biens et des personnes par une minorité d'abrutis, il n'y a pas d'autres mots. Si vous voulez être respecté commencez par vous respecter vous même en étant responsables de vos actes.
Honte à vous tous pour cette nouvelle année puisque il est évident que tout le territoire ne sera ni en paix, ni sous contrôle et que tout sera permis entre les Terres Basse et le pont de Sandy Ground.

Tout à fait vrai, mais attention à ne pas dramatiser tout de même...

Cependant, cet après-midi, j'ai reconduit une amie Haïtienne mais ça bloquait au pont de Sandy Ground. J'ai fait demi-tour laborieusement (merci aux automobilistes très compréhensifs). Un jeune (plutôt blanc d'ailleurs) probablement auto-proclamé "gestionnaire de trafic" est venu me montrer son désaccord d'un air exaspéré sur ma manœuvre (sans aucun problème d'ailleurs) tout imbu de sa petite personne. De quoi pleurer... ou rire? Et s'il y a un accident grave? On fait quoi?

Le responsable de ces blocages sur Sandy Ground est l'œuvre du caid local, bien connu de la police, et de la Collectivité puisqu'il est représentant du quartier, Cédric André est un émule de Domota en Guadeloupe, syndiqué Ugtg tendance indépendantiste.

Attention de ne pas faire d amalgame entre la situation post Irma et les comportements cretins que nous avons connu.

Ce monsieur a le droit de s’exprimer mais pas d être irresponqable car à part brailler je ne lui connais aucune action d homme politique ou syndical .
S il veut s enfermer et vivre en autarcie soit mais sans les subventions de la COM ou l État ... il faut choisir soit le beurre soit la crémière

Un bon journaliste a filmé son enquête sur la Rumeur des morts https://youtu.be/_Qctd6VHZQE