17.05.2019

77 sacs de farine et 2 factures à l’origine d’un litige entre associés

Les faits remontent à début 2016.

Comment 77 sacs de farine ont-ils été commandés et payés ? Telle a été la question qui a alimenté les débats pendant près de deux heures jeudi au tribunal correctionnel de Saint-Martin. La finalité étant de savoir si la commande a vraiment été passée et donc l’argent sorti de la caisse du commerce utilisé à bon escient et non détourné.

Les faits remontent à fin février 2016 et se sont déroulés au sein d’une boulangerie à Marigot. Le gérant de l’établissement, RT, constate que deux factures d’un montant total de quelque 1 260 dollars ne correspondraient à aucune livraison. Il soupçonne ses deux autres associés - un couple qui a injecté des fonds l’année précédente et permis à l’entreprise de redresser la pente – d’avoir émis ces deux factures et d’avoir pris l’argent à des fins personnelles. Il dépose plainte en juin 2016 mais l’affaire sera classée mi 2017. «Lorsqu’elle est arrivée, nous étions après Irma et j’ai considéré qu’on n’allait pas s’acharner sur cette boulangerie qui venait d’être détruite, c’est pourquoi j’ai décidé de classer l’affaire sans suite. Mais le gérant a contesté, comme cela était son droit, devant le parquet général qui a demandé de la réexaminer. C’est ainsi que l’enquête a été relancée», a expliqué le vice-procureur. Le couple a ainsi été poursuivi en justice ; l’épouse pour abus de bien d’une entreprise, altération frauduleuse de la vérité dans un écrit et usage de faux en écriture, l’époux pour subornation de témoin.

Première appelée à la barre, l’épouse, HR, explique qu’«un dimanche en février», son mari, DR, qui assure l’activité de boulangerie au sein de l’entreprise, constate qu’il va être en «rupture de stock de farine». Ne pouvant contacter le fournisseur habituel en raison du jour (dimanche), le couple décide de demander à un confrère en partie hollandaise de le dépanner. «Mon mari qui était en moto, est retourné à la maison prendre la voiture, une Jeep, pour aller chercher les sacs de farine», poursuite HR. C’est ainsi, affirme le couple, que 77 sacs de farine ont été livrés à la boulangerie à Marigot. Et de préciser que des employés et le gérant ont aidé DR à décharger les sacs.

Suite à cette livraison, HR qui avait l’habitude de s’occuper de l’administration, a émis deux factures, l’une datée du 28 février, la seconde du 5 mars correspondant respectivement à 52 et 27 sacs de farine soit 850 et 412 dollars. HR affirme en outre avoir pris, à la demande de RT le gérant, des espèces dans la caisse pour payer le confrère de la partie hollandaise. Ce que RT nie.

L’avocate de ce dernier, maître Noémie Chiche-Maizener, s’est attachée à prouver dans sa plaidoirie que les commandes n’étaient pas justifiées et donc que son client n’a pu ni les valider, ni accepter de les payer. «Le 24 février une livraison de 36 sacs a été passée, or comme DR l’a expliqué à la barre, il avait besoin d’environ 9 à 10 sacs par jour, donc il ne pouvait y avoir une rupture de stock fin février», estime le conseil qui, en outre, fait remarquer qu’il est «impossible de mettre 52 sacs de farine dans une jeep» en montrant aux juges une photo de la voiture et un sac de farine pour apprécier les tailles.

Du côté de la défense, maître Françoise Brunet, atteste le contraire et démontre que les 77 sacs étaient bien nécessaires en raison d’une rupture de stock à la boulangerie mais aussi chez le fournisseur. Selon le couple, elle avait été confirmée par le fournisseur quelques jours plus tôt à un ouvrier mais celui-ci avait oublié de donner l’information à DR qui l’a découverte ce fameux dimanche de février. D’où la demande de dépannage. L’avocate montre aussi aux magistrats le nombre moyen de sacs commandés en saison, un nombre qui est en cohérence avec la commande 77 sacs. D’autant plus que «nous sommes là en pleine saison touristique et au moment de la Heineken regatta qui draine beaucoup de touristes».

En revanche ce qui demeure flou pour le tribunal, est le contexte du paiement. Pour HR, tout est clair : «il était normal de payer le boulanger de la partie hollandaise qui nous a dépannés». Sauf que la facture a été émise au nom d’un établissement - dit «en sommeil» ou «sans activité» selon HR - à savoir l’ancienne société qui exploitait le fonds de commerce du magasin du boulanger qui a dépanné ; ancienne société qui appartient à HR et DR et qui, aujourd’hui, loue les locaux au boulanger.

De plus, à l’audience, le couple confie que son repreneur lui devait un certain nombre de sacs de farine qui avaient été oubliés d’être mentionnés dans le stock lors de la vente de l’activité. «C’est pourquoi ce sont des factures hors comptabilité», a précisé la défense. Ce qui a laissé perplexe les magistrats.

Autre volet de l’affaire, la subornation de témoin. Le couple a fourni au dossier le nom de plusieurs employés qui ont attesté qu’effectivement «un dimanche de février des sacs de farine ont été déchargés à la boulangerie par RD». Certains ont été interrogés par les gendarmes et parmi eux RV.

Début 2017, l’employé a confié à RD lors d’une rencontre fortuite dans la rue, qu’il avait affirmé lors de son audition que RD avait déchargé des sacs de farine sans l’aide du gérant car celui-ci l’avait menacé de le licencier.

Un an et demi plus tard, en septembre 2018 - lorsque l’enquête est rouverte – RV est contacté par le couple par les réseaux sociaux puis par téléphone pour lui demander de changer sa déposition, lui rappeler «la gravité d’un faux témoignage » et pour lui indiquer qu’il déposerait plainte pour faux témoignage s’il ne revenait pas sur ses propos. Mais au final c’est l’ancien employé qui dépose plainte contre RD pour menace.

Selon le parquet, cette affaire compliquée reflète principalement la non entente entre les associés. «On essaie de nous rouler dans la farine », a-t-il ironisé. «Pourquoi y-a-t-il deux factures ? Pourquoi le gérant déposerait-il plainte pour dénoncer des faits auxquels il a participé ?», s’interroge-t-il avant de requérir une amende de 1 200 euros à l’encontre des chacun des époux et l’indemnisation de la victime, soit l’entreprise de boulangerie. Constitué partie civile, le gérant a demandé le remboursement des deux factures, 5 000 euros au titre du préjudice moral et 2 000 euros au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale.

Le jugement a été mis en délibéré au 20 juin.

Estelle Gasnet
3 commentaires

Commentaires

un film ancien
pour ceux qui ont une connaissance cinématographique
cela rappelle le vieux film de Marcel Pagnol : la femme du boulanger

quand on connaît la femme du boulanger on sait qui ment .....pire que cette femme n’existe pas

Chleo vous parlez de la petite vieille blonde