23.11.2021

Le tribunal "incompétent" pour juger trois hommes accusés de blanchiment et de faux

Car les faits se sont produits en partie hollandaise

En juin 2020, PC, chef d’entreprise de la partie française, fait l’objet d’une dénonciation auprès des services des finances publiques : il est accusé par une personne anonyme d’évasion fiscale et pour remercier son comptable de l’avoir aidé à frauder, il lui aurait offert une montre Rolex à plus de 20 000 dollars cinq ans plus tôt. Le parquet est saisi dans la foulée et confie l’enquête à la section de recherches de Saint-Martin.

Les investigations ne vont porter que sur les conditions d’acquisition de la montre de luxe. Elles révèlent que PC l’a achetée mais que le nom figurant sur le certificat de garantie du bijou est celui de SF, ami et directeur d’un cabinet d’expertise comptable. Puis découvrant que SF a remboursé la montre à PC en espèces, les enquêteurs vont soupçonner SF de blanchiment (alors que la personne anonyme accusait PC). Ils l’interrogent sur la provenance de cet argent liquide. SF affirme avoir gagné au casino à plusieurs reprises ; pour le prouver, il demande des attestations de gains au directeur de l’établissement. HM lui fournit deux documents justifiant un gain de 10 000 dollars et un autre de 14 000 euros. Mais les enquêteurs et le parquet vont considérer que ces attestations sont des fausses, que PC et HM ont aidé SF à dissimuler de l’argent ayant une origine frauduleuse.

Les trois protagonistes sont poursuivis : PC, SF et HM sont tous accusés de blanchiment ; il est aussi reproché à HM d’avoir produit de faux documents et à SF de les avoir utilisés. Tous les trois étaient convoqués devant le tribunal de proximité de Saint-Martin le 21 novembre. Ils étaient présents et accompagnés de leur conseil respectif. A tour de rôle, ils ont relaté les faits sur lesquels le procureur ne manquera pas de rebondir, non sans ironie, dans son réquisitoire.

En 2015, SF voulait s’offrir une Rolex. «Si à 50 ans, on n’a pas sa Rolex, on a loupé sa vie !», soulignera le procureur. Le modèle que SF souhaite, coûte 20 196 dollars et n’est disponible que dans une boutique sur l’île. Mais il ne peut l’acheter pour deux raisons : d’une part il n’a pas les liquidités nécessaires, d’autre part, il n’est pas autorisé par le bijoutier à l’acheter. Aux juges, PC et SF confirment que dans le monde du luxe, «si vous n’êtes pas ami avec le revendeur, il n’est pas possible d’acheter une Rolex ». «Et oui, il faut montrer patte blanche ! Mais Monsieur SF n’est pas n’importe qui pourtant !», ironisera de nouveau le procureur.

Connaissant très bien l’unique revendeur de Rolex, PC, achète la fameuse montre pour SF qui le remboursera. Aux enquêteurs et aux juges, SF et PC livrent les mêmes explications sur l’origine des fonds.

PC les justifie par la vente de son bateau intervenue à la mi 2015. «On reproche à mon client d’avoir permis à SF de blanchir de l’argent, d’avoir facilité une opération de conversion d’argent. Cela signifie d’avoir utilisé de l’argent sale. Or, l’argent utilisé pour acheter la Rolex n’était pas sale puisqu’il provenait de de la vente d’un bateau et que mon client est capable de le prouver », développe l’avocate de PC, qui a produit au dossier la facture de la vente. «Mon client a acheté la montre avec son argent, on ne démontre pas que c’est de l’argent sale», insiste-t-elle.

De son côté SF campe sur sa position : il a gagné deux sommes importantes en 2015 et 2016 et plusieurs petites sommes en 2016 au casino. Dans le cadre de l’enquête en 2020, il recueille les témoignages de trois personnes dont «un huissier », présentes au moment des gains. Il contacte aussi HM, le directeur de l’établissement, pour lui demander de fournir les attestations correspondantes aux gains. «Comme c’est un très bon client, je les lui ai faites», confie HM au tribunal en précisant qu’il ignorait au moment de la demande, que SF faisait l’objet d’une enquête de gendarmerie.

Pour le parquet, il s’agit d’attestations de «complaisance». «Vous êtes extraordinaire ! C’est super, génial ! En 2020, vous êtes capable de dire les dates et les sommes que votre client a gagnées en 2015 ! », commentera le procureur. Et d’insister auprès des trois protagonistes qu’il a surnommés «les pieds nickelés » : «il ne faut quand même nous prendre pour des lapins de six semaines ! » «Y a qu’à Saint-Martin qu’on voit ça ! On veut une Rolex, vous ne pouvez pas l’acheter car le commerçant ne vous connaît pas et donc vous ne la vend pas. Alors votre ami vous l’achète et par hasard vous gagnez ensuite au casino deux fois des sommes qui vous permettent de rembourser votre ami ! Jackpot ! Monsieur F, faut jouer au loto ! », lance le procureur en alternant humour et ironie avant de requérir des amendes de 3 000, 5 000 et 7 000 euros à l’encontre respectivement de HM, SF et PC ainsi que la confiscation de la Rolex.

Pour réfléchir et rendre leur décision, les magistrats se sont basés sur les arguments de la défense. Comme l’a fait remarquer l’avocat de SF, les faits reprochés se sont déroulés en partie hollandaise : la montre a été remise par PC à SF en partie française mais elle a été achetée dans une boutique à Philipsburg. De même que les attestations de gain au casino ont été remplies en partie hollandaise. Or selon la loi française, un tribunal ne peut juger des personnes pour des faits qui se sont déroulés hors territoire national. C’est pourquoi le tribunal de Saint-Martin s’est déclaré incompétent pour statuer sur les faits de blanchiment et de faux et a relaxé SF des faits d’usage de faux. La restitution de la Rolex a également été ordonnée.

Estelle Gasnet