03.07.2020

Deux huissiers poursuivis pour prise illégale d’intérêt

Ils ont comparu hier devant le tribunal de Saint-Martin.
Les faits

Les faits remontent à fin 2012. JLA loue un local à la Baie Nettle à GF, à l’épouse de celui-ci et à leur société ; dans ce local est exploitée une laverie. «Au bout d’un ou deux ans, l’affaire commence à péricliter, GF est en train de divorcer», explique maître Maryan Mougey, le conseil des deux huissiers. GF va cumuler des dettes locatives ; il ne va pas payer le loyer pendant dix-huit mois.

JLA qui réside en métropole, se rend à Saint-Martin pour tenter de trouver une solution avec son locataire. Mais sans succès. Aussi missionne-t-il l’huissier dont l’étude est mitoyenne à la laverie, pour récupérer les impayés.

MF, l’un des huissiers de l’étude, notifie le 7 novembre 2012 à GF un commandement de payer. «Ensuite, GF a approché MG à qui il a dit qu’il ne voulait plus exploiter la laverie. Il lui propose alors de la reprendre mais MG ne peut pas car il n’a pas d’argent», précise maître Maryan Mougey.

MG fait part de cette conversation à sa compagne qui vient de rentrer de métropole. Sa compagne est CE, également huissier, associée de MF (celui qui a fait le commandement de payer) et ex-femme du propriétaire du local. A ce moment, la volonté de CE est «de trouver un emploi à son compagnon».

D’un commun accord, l’huissier MF va proposer au propriétaire de la laverie de résilier le bail qui le lie à GF et de signer un autre bail avec MG en contre partie du paiement des dettes. Le bailleur accepte.

MF et CE règlent à ce dernier 14 000 euros de dettes comme convenu, organisent la remise des clés du local par GF le 12 novembre et signent le 20 novembre 2012 les statuts d’une SARL qu’ils viennent de créer afin de permettre à MG d’exploiter la laverie. Le compagnon de CE a donc un nouvel emploi.

«La volonté de mes clients était de rendre service à MG», confirme maître Mougey. «C’était un arrangement pour permettre au compagnon de CE d’avoir un emploi», précise à plusieurs reprises MF. Son avantage à rendre ce service était «double : MG est le parrain de son fils et le compagnon de son associée», souligne l’avocat. «En fait, c’est une mission humanitaire !», commente le vice-procureur qui n’a pas la même interprétation des faits. Pour le parquet, il s’agit d’une prise illégale d’intérêt.

Les chefs d’accusation

Plusieurs mois après avoir résilié son bail, en avril 2013, GF dépose plainte à la gendarmerie pour extorsion contre les deux huissiers. Va alors débuter une enquête qui va durer six ans. Un juge d’instruction est nommé. MF et CE sont mis en garde à vue puis en examen pour escroquerie, extorsion, faux en écriture, usage de faux en écriture, tentative d’escroquerie, prise illégale d’intérêt. MF est aussi poursuivi pour subornation de témoin et complicité d’usurpation de qualité.

A l’issue de l’instruction soit en juin 2019, des non lieux sont rendus à l’encontre des deux associés pour tous les délits à l’exception de la prise illégale d’intérêt. Ils étaient convoqués devant le tribunal de proximité de Saint-Martin le 14 mai dernier mais en raison du contexte sanitaire, l’affaire a été renvoyée au 2 juillet.

Ce qui est reproché

L’intitulé exact de la prévention est prise illégale d’intérêts par dépositaire de l’autorité publique dans une affaire dont il assure le paiement ou la liquidation.

En d’autres termes, il est reproché aux deux huissiers d’avoir créé à titre personnel une société pour permettre au compagnon de l’un d’eux, de reprendre l’activité dans un local dont l’ancien locataire s’était vu notifier par leur étude un commandement de payer les loyers impayés moins de deux semaines plus tôt et à qui ils avaient proposé des conditions de résilier le bail.

«Comme un notaire n’a pas le droit d’acheter les biens issus d’une succession qu’il vient de régler, vous ne pouviez pas créer une société pour exploiter la laverie», a commenté le tribunal.

Huissier est une profession réglementée et selon le code pénal, un huissier en tant que dépositaire de l’autorité publique ne peut prendre, recevoir ou conserver un intérêt quelconque dans une entreprise ou une opération dont il a au moment de l’acte la charge ou la surveillance.

«Cela ne vous a jamais effleuré l’esprit ? », demande le vice-procureur aux deux mis en cause. «Non », répond CE qui affirme qu’au moment où son ex compagnon lui a parlé de l’affaire elle n’était pas au courant du commandement de payer délivré par son associé. Et de marteler qu’elle avait le droit de faire ce qu’elle a fait.

«Cela ne m’a pas effleuré non plus», répond MF tout en précisant : «aujourd’hui je percute, mais à l’époque je n’y avais pas pensé. C’était juste un arrangement pour MG ».

Les deux associés n'ont de cesse d'affirmer qu'ils ne savaient pas qu'ils ne pouvaient pas monter cette entreprise à cette fin. Il confirment qu’au final, ils ont perdu de l’argent dans cette affaire qui a périclité quelques mois plus tard lorsque CE et MG se sont séparés ; la société a été dissoute.

Selon leur avocat, les arguments avancés par le juge d’instruction et le parquet pour tenter de caractériser les faits de prise illégale d’intérêt, ne valent pas. Selon lui ils ne valent que si un huissier est mandaté par l’Etat or dans cette affaire, ils étaient mandatés par un particulier, le propriétaire de l’immeuble.

"Il y a deux victimes monsieur le juge, elles sont devant vous", a déclaré MF en fin d'audience.

Le parquet a requis à l'encontre de chacun des deux mis en cause "une peine de principe de quatre mois de prison assortis du sursis ainsi qu'une amende de 8 000 euros dont la moitié assortie du sursis".

Le jugement a été mis en délibéré au 22 octobre.

Estelle Gasnet